Télétravail en 2025 : droits, obligations et bonnes pratiques
Cet article fait le point sur l’état du droit et propose des clés pratiques pour la mise en place du télétravail.
ACTUALITÉ
Depuis 2020, le télétravail s'est imposé dans de nombreuses entreprises, encadré par l’article L1222-9 du Code du travail et des Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI), il a également donné lieu à un foisonnement de décisions jurisprudentielles.
Ces contentieux récents ont permis de préciser des zones floues du droit, notamment sur la prise en charge des frais professionnels, la réversibilité du télétravail et la prévention des risques psychosociaux. Cet article propose une synthèse de ces règles et de leur application concrète à l'aube de 2025.
1. Cadre juridique général :
1.1 Définition légale et champ d’application :
Le télétravail est défini comme une organisation permettant à un salarié d’exercer, hors des locaux de l’employeur, une activité qui aurait pu être réalisée sur site, grâce aux technologies de l’information et de la communication (C. trav., art. L1222-9).
Deux Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI) encadrent ce mode de travail :
L’ANI du 19 juillet 2005 s'applique au télétravail régulier et impose notamment l’égalité de traitement ainsi que la prise en charge des frais professionnels engagés par le salarié (article 7).
L’ANI du 26 novembre 2020 élargit son champ d’application au télétravail occasionnel et impose un écrit pour en formaliser les conditions, limitant ainsi les litiges potentiels.
Cependant, ces ANI peuvent être écartés par un accord collectif d’entreprise, à condition qu’il ne contienne pas de clauses moins favorables que celles prévues dans les ANI sur certains points essentiels (C. trav., art. L2253-3).
1.2 Mise en place et réversibilité :
Le télétravail peut être instauré par un accord collectif, une charte élaborée après consultation du CSE, ou, à défaut, un accord individuel entre l’employeur et le salarié.
La réversibilité est un principe fondamental, permettant à l’une ou l’autre des parties de mettre fin au télétravail sous réserve du respect des modalités prévues dans l’accord ou la charte. Ainsi, imposer unilatéralement le télétravail sans l’accord du salarié constitue une modification unilatérale du contrat, autorisant ce dernier à prendre acte de sa rupture (Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.727). Cette décision consacre l’importance du consentement dans l’instauration du télétravail.
De même, un employeur ne peut modifier les modalités de télétravail sans un nouvel accord explicite du salarié, même si les règles internes de l’entreprise évoluent (CA Toulouse, 2 février 2024, n° 22/01361). Enfin, lorsqu'une charte postérieure impose l’accord des deux parties pour mettre fin au télétravail, celle-ci prévaut sur une clause antérieure prévoyant la réversibilité unilatérale (CA Paris, 16 mai 2024, n° 22/01947).
2. Obligations des employeurs :
2.1 Prise en charge des frais professionnels :
Les frais directement liés à l’exercice du télétravail, comme la connexion Internet ou les fournitures de bureau, doivent être pris en charge par l’employeur selon les ANI de 2005 et 2020.
La Cour d’appel de Versailles a précisé que cette obligation s’applique même en l’absence de disposition contractuelle ou conventionnelle, dès lors que les frais engagés sont justifiés (CA Versailles, 21 mars 2024, n° 22/01810). Cette décision consacre une interprétation large de l’obligation de remboursement des frais professionnels.
Toutefois, la Cour d’appel de Paris a rejeté une demande de remboursement de frais en l’absence de preuve de leur lien direct avec l’activité professionnelle, rappelant que le salarié doit démontrer que ces dépenses étaient indispensables (CA Paris, 3 avril 2024, n° 21/07292). Cette décision souligne l’exigence de justification des frais pour engager la responsabilité de l’employeur.
Enfin, dans un cas de télétravail imposé pour raisons médicales, l’employeur a été contraint de rembourser les frais, renforçant le lien entre l’obligation de sécurité et la prise en charge des coûts (CA Montpellier, 29 mai 2024, n° 21/04601).
2.2 Prévention des risques psychosociaux :
L’employeur doit prévenir les risques psychosociaux liés au télétravail, notamment l’isolement et le non-respect du droit à la déconnexion.
Un salarié a ainsi obtenu des dommages-intérêts pour manquement à cette obligation, en raison de l’absence de suivi de ses conditions de travail et de la surcharge professionnelle qu’il subissait (CA Toulouse, 26 avril 2024, n° 22/03695). Cette décision rappelle que l’employeur doit mettre en œuvre des mesures concrètes pour garantir le bien-être des télétravailleurs.
De plus, une lésion psychique causée par des propos humiliants tenus par un supérieur lors d’une visioconférence a été reconnue comme un accident du travail (CA Grenoble, 8 mars 2024, n° 22/02819). Cette décision élargit la notion d’accident du travail en y intégrant les troubles psychologiques liés au télétravail.
Enfin, un choc émotionnel survenu au cours d’une réunion à distance a été imputé à l’absence de mesures appropriées pour gérer la surcharge de travail, mettant en lumière l’étendue de l’obligation de sécurité de l’employeur (TJ Versailles, 29 février 2024, n° 22/00403).
3. Droits et devoirs des salariés :
3.1 Égalité de traitement et avantages sociaux :
Les salariés en télétravail bénéficient des mêmes droits que ceux travaillant sur site, notamment en matière de rémunération, de conditions de travail, et d’accès aux avantages sociaux (ANI 2005, article 7). Cela inclut l’accès aux titres-restaurant et aux primes, sous réserve que les conditions de leur octroi soient remplies.
Toutefois, des différences de traitement peuvent être justifiées par des situations objectives. La Cour de cassation a jugé que les salariés en télétravail ne pouvaient prétendre à une indemnité « cantine fermée » perçue par ceux contraints de travailler sur site durant le confinement, car ces derniers supportaient des frais supplémentaires non applicables aux télétravailleurs (Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-18.031). Cette décision rend explicite le fait que les avantages sociaux doivent correspondre à une situation comparable pour être équitablement distribués.
3.2 Accidents du travail en télétravail :
Les accidents survenus au lieu de télétravail, pendant les heures de travail, sont présumés être des accidents du travail (C. trav., art. L411-1). Cette présomption d’imputabilité repose sur le lien temporel et spatial entre l’activité professionnelle et l’incident.
En d'autres termes, pour que le salarié bénéficie de la présomption d’accident du travail en situation de télétravail il est nécessaire de caractériser :
un accident survenu sur le lieu de réalisation du télétravail ;
un accident survenu pendant l’exercice de l’activité professionnelle.
La jurisprudence a apporté des nuances à cette présomption. La Cour d’appel de Rouen a refusé de reconnaître comme accident du travail un malaise survenu après une pause déjeuner, faute de preuve que le salarié avait repris son activité professionnelle (CA Rouen, 26 avril 2024, n° 23/008410). Cette décision rappelle que la charge de la preuve repose sur le salarié pour établir les circonstances de l’accident.
À l’inverse, la Cour d’appel de Nîmes a confirmé la qualification d’accident du travail dans un cas où un AVC était survenu pendant les horaires de travail, corroboré par des éléments objectifs tels que les relevés d’horaires fournis par le SAMU (CA Nîmes, 2 mai 2024, n° 23/00507).
4. Contentieux récents : enjeux et tendances :
4.1 Télétravail à l’étranger :
Le développement du télétravail transfrontalier pose des questions spécifiques, notamment en matière de fiscalité, de protection sociale et de conformité au RGPD.
Un contentieux a récemment confirmé qu’un licenciement pour faute grave était justifié dans le cas d’un salarié travaillant depuis l’étranger sans en informer son employeur, et refusant de revenir malgré les injonctions. Le jugement a mis en avant les risques juridiques encourus par l’employeur, notamment en cas de traitement de données personnelles hors de l’Union européenne (Cons. prud’h., Paris, 1er août 2024, n° 21/06451). Cette décision souligne la nécessité pour les salariés de communiquer leur lieu de télétravail.
À l’inverse, un salarié télétravaillant à l’étranger avec l’accord tacite de son employeur a obtenu gain de cause après son licenciement. La Cour d’appel de Paris a estimé que l’absence de règles écrites ou de rappel à l’ordre sur l’interdiction du télétravail à l’étranger rendait le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse (CA Paris, 4 avril 2024, n° 21/09585). Cette décision illustre l’importance pour les employeurs d’établir des règles claires et de les communiquer de manière explicite.
4.2 Réversibilité du télétravail :
La réversibilité du télétravail, souvent évoquée dans les accords et chartes, est une source fréquente de litiges.
La Cour d’appel de Toulouse a jugé qu’un employeur ne pouvait contraindre un salarié à revenir en présentiel sans respecter les modalités prévues par la charte de l’entreprise (CA Toulouse, 29 mars 2024, n° 22/03439). Cette décision illustre que même une clause de réversibilité doit être appliquée en conformité avec les dispositions contractuelles.
Cependant, l’absence de formalisation claire peut laisser une certaine latitude à l’employeur. Ainsi, un salarié demandant un télétravail intégral sans base contractuelle a vu son licenciement confirmé, les juges ayant estimé que l’entreprise avait respecté ses obligations en proposant des modalités flexibles (CA Versailles, 1er février 2024, n° 21/03122). Cette décision met en avant la nécessité de formaliser précisément les règles de télétravail pour éviter des interprétations divergentes.
5. Enjeux pratiques et perspectives :
5.1 Pour les employeurs::
Les entreprises doivent anticiper les risques juridiques et organisationnels liés au télétravail en adaptant leurs pratiques :
Formalisation des règles : intégrer des dispositions spécifiques dans les accords collectifs ou chartes, notamment sur les modalités de réversibilité, la gestion des frais professionnels et les lieux autorisés pour télétravailler.
Suivi des télétravailleurs : mettre en place des outils permettant un suivi régulier, tels que des bilans de charge de travail ou des réunions de cohésion, afin de prévenir l’isolement et les risques psychosociaux (CA Toulouse, 26 avril 2024, n° 22/03695). Ces pratiques permettent de respecter les obligations de sécurité et de bien-être des salariés.
Sensibilisation au télétravail transfrontalier : établir des règles claires sur les limites géographiques et les implications fiscales ou juridiques du télétravail hors des frontières, pour éviter des contentieux coûteux comme celui évoqué par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 4 avril 2024, n° 21/09585).
5.2 Pour les salariés :
Les télétravailleurs doivent également s’impliquer activement dans la gestion de leurs droits :
Exiger un écrit formalisant les conditions de télétravail : cela garantit leur sécurité juridique en cas de litige, notamment pour les frais professionnels ou la réversibilité (CA Versailles, 21 mars 2024, n° 22/01810).
Respecter leurs obligations d’information : notifier leur lieu de télétravail à l’employeur et s’assurer que ce dernier valide toute situation particulière, notamment à l’étranger (Cons. prud’h., Paris, 1er août 2024, n° 21/06451).
Documenter les incidents professionnels : garder des preuves des circonstances en cas d’accident ou de problème lié au télétravail, pour faciliter la reconnaissance éventuelle d’un droit (CA Nîmes, 2 mai 2024, n° 23/00507).
5.3 Perspectives législatives :
À la lumière des décisions récentes, plusieurs évolutions législatives sont attendues :
Harmonisation des obligations de prise en charge des frais professionnels : une clarification législative pourrait standardiser les règles applicables, notamment pour les frais spécifiques au télétravail à domicile ou à l’étranger.
Encadrement du télétravail transfrontalier : une réglementation spécifique pourrait limiter les zones d’ombre juridiques concernant la fiscalité, la protection sociale et la gestion des données personnelles.
Renforcement des dispositifs de prévention des risques psychosociaux : de nouvelles obligations pour les employeurs pourraient émerger pour mieux accompagner les salariés en télétravail prolongé.
Conclusions :
Le télétravail en 2025 repose sur un cadre juridique solide, enrichi par des jurisprudences récentes qui précisent les droits et obligations des employeurs et des salariés. Les entreprises doivent désormais non seulement respecter les règles existantes, mais aussi anticiper les évolutions et les nouveaux défis, notamment liés au télétravail international et à la prise en charge des frais.
Pour les salariés, une meilleure connaissance de leurs droits et une communication proactive avec leurs employeurs sont essentielles pour éviter des litiges.
Dans un contexte de transformation rapide des pratiques professionnelles, le dialogue social et la formalisation des politiques internes restent des outils clés pour garantir un télétravail équilibré et sécurisé.
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Mathieu MICHELON
Avocat au barreau de Nice